Le talon de fer

Jack London

Libretto

  • Conseillé par
    10 février 2011

    roman de politique-fiction intelligent, pertinent mais manichéen

    Ce roman de politique-fiction se présente comme l’autobiographie, annotée par un exégète des temps futurs, d’une jeune bourgeoise qui fut la compagne du chef des socialistes lors de l’avènement du Talon de Fer aux USA. Elle décrit sa découverte progressive des injustices sociales, de l’asservissement des ouvriers privés de droit et maintenus dans la misère par les grands industriels, de la domination de la ploutocratie qui détient tous les leviers du pouvoir (justice, presse, gouvernement, etc.) et présente, sans didactisme pesant, les thèses marxistes. Dans ce livre de 1907, Jack London annonce, avec cohérence et clairvoyance (prévoyant la 1ère guerre mondiale, les crises économiques et les totalitarismes), une société qui se fracture, après l’anéantissement de la petite bourgeoisie, autour de la lutte à mort que se livrent les communistes et l’oligarchie du Talon de Fer, impérialiste et ploutocrate, qui triomphe avec l’écrasement de la révolte de Chicago qu’elle a habilement provoquée et préparée. London apparaît ainsi comme un communiste foncièrement révolutionnaire, convaincu de l’inefficacité du dialogue avec les classes dirigeantes et n’entretenant aucun espoir dans la capacité des socialistes à réformer démocratiquement la société pour instaurer une société fraternelle et juste. Certes, London n’a pas prévu que le totalitarisme reposerait sur le culte du chef et a négligé la capacité du capitalisme à se réformer de l’intérieur, y compris par l’assimilation d’éléments exogènes issus du socialisme. Certes, London s’abstient d’essayer de décrire la société communiste idéale devant émerger du bain de sang révolutionnaire.

    Mais son intelligence politique ne fait aucun doute ; il décrit, très minutieusement et judicieusement, tous les exutoires et moyens imaginés par le Talon de fer pour entretenir le cycle de l’économie et affirmer son emprise : essor des arts, création de villes merveilleuses, émergence d’une classe moyenne de techniciens supérieurs ralliés à l’oligarchie, paupérisation du reste de la population considérée comme une main d’œuvre corvéable à volonté (le Peuple de l’Abîme), instauration d’un état d’urgence permanent où la l’armée et la milice, dans un climat de guerre civile, pourchassent et répriment les communistes, regroupés dans la seule force capable de s’opposer efficacement à l’oligarchie. Mais le Talon de Fer, par la vertu du cycle des crises inhérent au capitalisme, est condamné sur le long terme, comme l’attestent les commentaires de l’exégète du futur, qui vit dans la société du communisme réalisé.
    L’ambition du propos de London fait la force et la faiblesse du livre car les personnages, malgré le soin apporté aux portraits psychologiques et malgré la finesse des nuances dans l’évocation des émotions, peinent parfois à être davantage que les porte-parole de leur classe, émergeant via quelques coïncidences "deus ex-machina" du flux impétueux de l'Histoire ! En fait, le livre est profondément manichéen et participe du mépris des démocraties, qui conduisit à la deuxième guerre mondiale. Néanmoins, il se lit avec plaisir et réserve quelques moments de bravoure, notamment dans la description des émeutes et massacres de Chicago. Il témoigne aussi, avec une ferveur sincère, des clivages idéologiques et illustre l’âpreté cruelle des luttes idéologiques, tant les deux camps sacrifient l’individu sur l’autel de l’intérêt de classe.
    Par ailleurs, les annotations, sous prétexte de mise en perspective historique, dénoncent le capitalisme sauvage avec un écho troublant dans notre actualité (cf les révélations d’Eva Joly sur la grande corruption qui fausse le fonctionnement des institutions).