Le Lynx
EAN13
9782012034013
ISBN
978-2-01-203401-3
Éditeur
Black Moon
Date de publication
Collection
BLACK MOON THRI
Nombre de pages
407
Dimensions
2,2 x 1,4 x 0,3 cm
Poids
414 g
Langue
français
Langue d'origine
finnois
Fiches UNIMARC
S'identifier
Indisponible

Autre version disponible

L'édition originale de cet ouvrage a paru en langue finnoise
chez Tammi, sous le titre :
Henkivartija
Copyright © 2009 by Leena Lehtolainen.
French edition published by agreement with Tammi Publishers
and Elina Ahlbäck Literary Agency, Helsinki, Finland.
Traduit par Véronique Minder depuis la langue allemande,
d'après la traduction de Gabriele Schrey-Vasara,
parue en 2011 aux éditions Rowohlt sous le titre :
Die Leibwächterin
Publié avec l'autorisation de Gabriele Schrey-Vasara et des éditions Rowohlt.
Illustration : © Andreas Stridsberg.
Conception graphique : Julie Simœns.
© Hachette Livre, 2013, pour l'édition française.
Hachette Livre, 43, quai de Grenelle, 75015 Paris.

ISBN : 97820120342351

Lynx. Ilves en finnois. Ris en croate. Gaupe en norvégien et en allemand, Luchs. Je peux distinguer entre un chat-lynx, un renard-lynx et un loup-lynx : même espèce de lynx mais des pelages imperceptiblement différents que j'identifie sans hésitation. Les empreintes de lynx aussi, je les reconnais au premier regard. C'est à cause des lynx si j'ai perdu mon boulot.

Ma cliente s'appelle Anita Nuutinen et je suis sa garde du corps depuis un an.

Ce jour-là, elle voulait se rendre dans la joaillerie du plus luxueux des nouveaux centres commerciaux moscovites, qui vendait des reproductions d'œufs de Fabergé. Lorsque nous avons franchi, à l'entrée principale, le portique de détection des métaux, l'alarme a retenti à mon passage. Évidemment. On me pria donc de déposer mon Glock calibre .9.

— Mais j'en ai besoin : la protection rapprochée, c'est mon métier, expliquai-je aux vigiles de la galerie, eux-mêmes armés jusqu'aux dents.

Rien à faire. Si je voulais accompagner Anita dans son shopping, je devais me dessaisir de mon arme. Point.

— Sécurité. On n'entre pas avec des armes. Trop dangereux, baragouina l'un des vigiles dans un mauvais anglais.

Mensonges. Tout s'achète, tout se vend : il suffisait d'allonger quelques dollars, et n'importe quel quidam armé rentrait là-dedans comme dans un moulin. S'y aventurer tenait de la gageure, mais Anita était prête à courir le risque. Pour preuve :

— J'y suis j'y reste ! C'est moi la seule en danger dans cette histoire.

C'est aussi la seule qui décide : sous le sourire de convenance, le ton était impérieux. J'étais à ses ordres, je ne mouftai donc pas.

Anita acheta son précieux œuf de Pâques. Au prix qu'elle le paya, sans ciller – trois fois mes honoraires mensuels –, je faillis m'étrangler. Je savais pertinemment qu'un authentique œuf de Fabergé lui coûterait dix ans desdits honoraires. Anita ne s'arrêta pas en si bon chemin : il fallut aller jeter un œil au magasin de fourrure à côté de la joaillerie.

En général, je déconseille à mes clients de porter des vêtements trop ostentatoires, fourrures de luxe y compris. Ça va de soi. Mais dès le premier jour, Anita n'en avait fait qu'à sa tête.

J'endure, je supporte les peaux de visons et autres renards argentés dont elle s'affuble même si ça m'écœure et me dégoûte, mais j'ai un seuil de tolérance au-delà duquel je ne transige pas : la fourrure de lynx.

Lynx en russe, ça se dit rys'. Le manteau qui avait tapé dans l'œil d'Anita avait à lui seul nécessité le massacre d'environ vingt lynx. À cette pensée, je sentis mon cœur s'emballer et une violente colère me soulever. J'essayai de maîtriser mon souffle devenu trop court, trop rapide. Impossible. Toutes les techniques de respiration que j'avais apprises échouèrent les unes après les autres.

Anita essaya le manteau. Les deux vendeuses se précipitèrent pour l'aider et lui en montrer le système de fermeture. Elles étaient si proches de ma boss qu'elles auraient pu sans peine lui planter un couteau en plein cœur ou subrepticement lui injecter un poison mortel. Je devais me rapprocher, or je ne bougeai pas.

Anita sourit aux vendeuses.

— Lynx, very beautiful !

Puis elle poursuivit en finnois à mon intention :

— Et toi ? Qu'est-ce que tu en dis, Hilja ? N'est-ce pas le comble de la sensualité ? Je me sens chatte et si féline tout à coup !

Anita ne connaissait pas mon passé, rien de mes affinités avec les lynx. De moi, je ne lui avais raconté que le strict minimum. D'un autre côté, jamais elle ne s'était enquise de ma vie : Anita Nuutinen est bien trop imbue de sa petite personne et de ses propres succès pour s'intéresser à autrui.

— Jolie fourrure mais sur le dos des lynx seulement.

Je perçus dans ma voix une intonation et des inflexions inhabituelles qui me firent penser au grondement du tonnerre.

Anita tressaillit.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

Elle s'enveloppa plus voluptueusement dans sa pelisse et en caressa la fourrure si douce.

— Bah, après tout, ton avis n'a aucune importance !

Et, s'adressant aux vendeuses, elle ajouta :

— I'll take that, thank you !

Anita retira son manteau et chercha l'une de ses quatre cartes de crédit dans son sac à main. Elle avait payé l'œuf de Fabergé avec son Amex, elle allait sans doute dégainer sa Visa. Au moment où l'une des vendeuses enveloppait la fourrure dans du papier de soie, je remarquai que c'étaient des chats-lynx qui avaient été sacrifiés sur l'autel de la mode : je reconnaissais l'alignement caractéristique des taches noires sur l'échine.

— Je te préviens, repris-je, si jamais tu l'achètes, je démissionne illico.

— Qu'est-ce que c'est que ces histoires ?

Anita fit volte-face avec tant de vivacité que sa carte de crédit accrocha la lumière et jeta un éclair.

— Tu m'as très bien comprise : je refuse de bosser pour des gens dont l'attitude est contraire à mon éthique.

— Ça n'est qu'une fourrure !

— Mais une fourrure de lynx !

Au tour d'Anita d'être en colère. Dix fois, cent fois et plus je l'avais vue et entendue engueuler et agresser ses collaborateurs, assassiner vendeurs et serveurs en leur reprochant leur incompétence et leur nullité. Anita a du fric, et elle exige un service à la hauteur dudit fric. Et moi, son employée, sa subalterne, j'avais le front, le toupet, de lui faire la morale ? Ah ! mais ça n'allait pas se passer comme ça, me jeta-t-elle d'un ton fielleux. Inutile de démissionner : c'est elle qui me congédiait ! Et sur-le-champ par-dessus le marché !

— J'en ai rien à foutre ! hurlai-je.

J'avais le visage en feu. Je transpirais, j'étais en nage. Je serrai les poings et me contins pour ne pas tout casser dans le magasin. Renverser les portants à coups de pied et briser les miroirs.

Les vendeuses nous observaient, pétrifiées. L'agent de sécurité, un baraqué moustachu dégageant une odeur de chou tenace, sortit soudain de l'arrière-boutique. Ni lui ni les vendeuses ne comprenaient un traître mot de notre joute verbale, mais ils avaient déjà deviné qui détenait le pouvoir et l'argent. L'agent de sécurité s'approcha donc de moi.

— Idite, me dit-il en russe.

Il avait au moins eu la politesse de me vouvoyer.

— Tu peux toujours attendre une lettre de recommandation ! s'écria Anita hors d'elle. Même pas en rêve ! Tu peux aussi me faire confiance : jamais tu ne retrouveras de boulot, en tout cas, pas en Finlande !

— T'inquiète : tu as moins d'influence que tu ne le crois ! rétorquai-je sur le même ton.

Le baraqué m'attrapa par le bras. Je ravalai l'envie de l'envoyer valdinguer contre un miroir.

À la sortie du centre commercial, je récupérai mon Glock, sourde aux questions des vigiles étonnés qui me demandaient, elle est où votre patronne ? J'avais appris un peu de russe au cours de mes fréquents déplacements en Russie avec Anita, et il y avait un mot que j'aimais bien, dourak, autrement dit : imbécile. Je le crachai au visage de l'un des gars qui cherchait à me retenir. À ma vue, notre chauffeur s'empressa d'ouvrir les portières de notre voiture. Je l'ignorai. De la galerie commerciale à l'hôtel, je n'avais qu'un petit kilomètre à parcourir, j'avais si bien imprimé le plan de Moscou dans ma mémoire que je me repérai sans difficulté. Arrivée à l'hôtel, je pris l'ascenseur jusqu'au neuvième étage. Anita et moi, on y avait des chambres contiguës avec une porte de communication : Anita ne supporte pas l'idée de dormir dans la même pièce que moi, mais je dois être corvéable à merci et rester à portée de main et de voix. Parfois, on utili...
S'identifier pour envoyer des commentaires.