Une fille

Juliette Kahane

Éditions de L'Olivier

  • Conseillé par
    22 mars 2015

    Un père et manque

    Un père aussi effrayé d’être un père qu’une fille d’être sa fille. C’est cette histoire de filiation manquée que nous raconte Juliette Kahane. Ce père aujourd’hui disparu n’est pas très connu du grand public, mais ce qu’il a fait l’est. Maurice Girodias (1919-1990) fondateur des Éditions du Chêne (1941), a été l’éditeur de romans qui avant d’être qualifiés de chefs d’œuvre ont été considérés comme des« dirty books », créateurs de scandales et pain béni des censeurs. Des  livres jugés « sales », comme « Lolita » de Nabokov, qui a été refusé par tous et qu’il a publié dans sa maison The Olympia Presse en 1955. Ou encore, comme les œuvres de Jean Genet ou Henry Miller.

    Etre le rejeton de celui qui s’est lui-même baptisé « Prince of porn » ne devait pas être facile. Ce dandy lettré, propriétaire d’un établissement de nuit à Paris « La Grande Séverine » était aussi fanfaron que déraisonnable. Chevalier du sexe sans peur et avec beaucoup de reproches assumés, il s’était assigné comme mission de « guerroyer contre la censure, provoquer les puritains, s’enrichir en s’amusant, ne rien prendre au sérieux ». Et surtout pas son rôle de père, qu’il n’a d’ailleurs pas su jouer. Ou si peu. Condamné à cause de ses publications pour outrage aux bonnes mœurs à de la prison avec sursis et à une interdiction d’exercer sa profession d’éditeur pendant 80 ans (sic) , il tente de se refaire en traversant l’Atlantique et de conquérir l’Amérique. Il finira ses jours totalement démuni à Paris.

    Et c’est sur les traces de ce père fascinant, mais absent, ou plutôt difficilement saisissable que Juliette Kahane nous entraîne, au fil d’un récit doté d’une langue que Girodias en tant qu’éditeur aurait sans nul doute appréciée pour la beauté de son style. Il aimait les belles lettres. Et ce texte de sa fille est d’une facture exigeante. Peut-être est-ce là le point de rencontre entre ces deux-là. Enfin, il était temps. Car tout le livre n’est qu’un rendez-vous raté. Même pire, la profonde déception d’une fille qui découvre au cours de son enquête, les petits arrangements de son père avec les collaborationnistes qu’il publie pour devenir sous l’occupation un éditeur florissant. Girodias par ailleurs avait pris le nom de sa mère pour dissimuler ses origines juives et échapper aux lois de Vichy et à la déportation. Comme d’autres dans le milieu littéraire de l’époque, il a navigué en eaux plus que troubles avec les pro-nazis, tout en laissant « le hasard arranger ou non la rencontre avec la honte ».

    Alors qu’il était un épistolier infatigable et qu’il a écrit ses mémoires en deux volumes, « Une journée sur la terre » (Editions de La Différence), Maurice Girodias selon sa fille « n’a pas su peindre le noir, les ombres de son personnage principal, qui est pourtant si riche ». Du coup c’est elle qui s’en charge en remettant son père à sa place. Dans les deux sens du terme. Dans la lumière d’un monde littéraire qui lui doit beaucoup et qui l’avait sans doute oublié . Mais aussi dans l’obscurité de ses failles et de ses lâchetés. A travers les mots et le regard de la petite fille qu’elle n’a jamais cessé d’être, elle nous offre un livre passionnant de bout en bout.

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