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Toni Morrison

10-18

  • Conseillé par
    4 décembre 2013

    du courage et de l'espoir

    Frank Money porte très mal son nom : il n’a pas un sou. Enfant, il a vécu les persécutions du Ku Klux Klan, fui à pied le Texas pour la Géorgie avec son père et sa mère enceinte jusqu’aux dents ; il a connu la maltraitance, la mort précoce de parents encore esclaves un siècle après l’abolition de l’esclavage, les routes du Sud qui ne mènent nulle part et l’exclusion de la part des Blancs et des plus riches que lui. Revenu de l’enfer coréen, sa plaque de soldat cousue au revers de sa veste, Frank pensait avoir enfin gagné sa place dans la société. Erreur. L’expérience de la guerre l’a détruit et les Américains sont d’autant plus ingrats avec les anciens combattants quand ils sont Noirs. Échoué à Seattle, Frank tente de croire en l’avenir auprès de Lily, mais nul ne peut effacer les souvenirs qui le réveillent en sursaut. Un jour, il reçoit des nouvelles de Cee, la petite sœur qu’il a pour ainsi dire élevée, et dont il apprend que la vie est en danger. Car Cee a elle aussi dû payer la rançon de sa couleur de peau, auprès d’un médecin eugéniste qui a utilisé son corps comme celui d’une souris de laboratoire. Frank s’embarque alors dans un périple à travers l’Amérique de la ségrégation, des hôtels pour Noirs et des dépouillements policiers, pour retrouver sa sœur et redonner sens à une vie que la vie n’a peut-être pas tout fait brisée.

    Mais n’attendez pas d’un Prix Nobel de Littérature qu’elle se contente de dénoncer l’atrocité. Les Hansel et Gretel de Toni Morrison ont du courage et de l’espoir. Ils ont connu l’horreur, cela ne les empêche pas de rechercher l’amour. Sur leurs chemins de croix, tout une ribambelle de personnages secondaires et indispensables : bons samaritains, initiateurs, amis, rebouteux de toute sorte. Parabole biblique des années 50, odyssée sudiste, conte de fées où les sorcières roulent en Ford, « Home » est le récit d’un retour chez soi : pas dans la dimension utopiste d’une terre promise, mais dans la perspective profondément humaniste d’une réconciliation avec soi-même. Les personnages de Morrison ont leur part d’ombre ; Franck transporte un lourd secret, mais il finit par trouver le moyen de faire les comptes avec ses péchés : en restituant leur humanité à ceux à qui elle a été si longtemps niée, et dont il fait partie. On pense à cette scène finale, bouleversante, dans laquelle Frank et sa sœur retournent sur les lieux d’un lynchage pour donner une sépulture à une poignée d’ossements abandonnés. Le très court roman de Toni Morrison irradie une lumière et une évidence qui rendent beaucoup de choses futiles, et  confirme le rôle déjà mondialement reconnu qu’occupe depuis cinquante ans son auteure : celui de la plus grande guérisseuse de l’âme américaine.

    Romane Lafore

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